mardi 24 avril 2012

Plus jamais prendre les bouchées doubles

Période du 18 janvier au 24 avril 2012

Eh! ça fait un bail! Alors, que s'est-il passé pendant tous ces mois? Je dirais que c'est pendant ce temps que j'ai vraiment frappé le mur de la retraite-réalité. Je m'explique.

Je suis encore et toujours heureuse de mon choix. À cet égard, je suis capable d'apprécier chaque jour l'extraordinaire liberté que la retraite me confère. Et j'aime énormément le fait de ne plus avoir de comptes à rendre à personne, sauf à moi. Cependant, ce qui a fait grimper mon anxiété d'un cran, c'est le constat d'être rendue là dans ma vie. Bien sûr que c'est grisant. Mais cette nouvelle vie arrive aussi avec un prix, et il est élevé : c'est la dernière étape avant la tombe.

Je sais, je sais. Tout le monde s'offusque quand j'emploie cette formule qui est très forte, c'est vrai. Je n'y peux rien, c'est ce que je ressens. À tort, peut-être. Et ça, je suis prête à le concéder. C'est évident que ma personnalité ne m'aide pas toujours à aborder cette "avant-dernière" période de mon séjour ici-bas de façon sereine et positive. J'ai une propension à sentir constamment l'épée de Damoclès au-dessus de ma tête tel le grand chef Abraracourcix qui attend que le ciel tombe sur la sienne.

Cette difficulté à digérer littéralement mon nouvel état civil m'a amenée à crier mon désarroi sur bien des toits. Au début, je recevais surtout des dénégations du genre : "Voyons donc, tu ne peux pas penser comme ça. C'est merveilleux la retraite. Tu peux faire tout ce que tu veux." Ou, encore : "Tu le fais exprès. C'est impossible que tu te sentes déprimée en ayant la chance de ne plus avoir à te lever pour aller travailler. Si j'étais toi, en tout cas, je serais euphorique à l'idée de rester sous les couvertures." Fort bien. Un peu plus et je faisais mon entrée à l'hôpital de la soeur Psy. Ben oui, quoi, je croyais que j'étais folle et encore une fois totalement à côté de mes pompes.

Heureusement, à force de m'égosiller, j'ai fini par retenir l'attention de retraités d'expérience. Et c'est là que j'ai appris la vraie vérité. Après quelques minutes passées à écouter chacun et chacune me vanter la vie rêvée qui est maintenant la nôtre, je continuais à les cuisiner en insistant sur ma résistance à vouloir embarquer sur le dernier navire en partance pour on sait trop bien où. C'est à ce moment qu'ils passaient aux aveux. Je n'étais plus seule sur mon étoile. (Avouez que c'est habile de ma part de passer ainsi de la métaphore maritime à la métaphore céleste!) Voilà que j'apprenais que d'autres que moi se posaient des questions philosophiques sur le vieillissement, la maladie, la mort. Voilà aussi que d'autres que moi reconnaissaient que l'adaptation avait été longue, parfois plus d'un an, avec des hauts et des bas, avec des essais et des erreurs. Ouf! j'étais normale. Je savais bien que tout ne pouvait pas être que roses sans épines. (Remarquez que je me lance maintenant dans la métaphore botanique!) Je ne suis pas pour autant sortie du bois.

En me basant sur les bons conseils que j'ai reçus, je tente davantage de vivre un jour à la fois, et ce, dans la pleine conscience. Je m'applique à ne pas me laisser entraîner vers des rivages inhospitaliers, c'est-à-dire à ne pas penser continuellement à mes arrangements funéraires. Si vous me lisez régulièrement, vous savez que ce n'est pas là une mince tâche pour la Marcheuse urbaine. Je n'ai pas encore trouvé le modus vivendi qui me permettra d'avaler enfin cette bien grosse bouchée. Je sais seulement que je dois prendre le temps qu'il faut. Et le temps, je ne peux pas dire que c'est ce qui me manque en ce moment, n'est-ce pas?