Du 15 septembre au 10 octobre
Comme je ne peux rien faire sans l'écrire, j'ai décidé de tenir un journal sur ma première année à la retraite. J'aimerais y consigner mes bonnes et moins bonnes idées, évaluer ce qui marche et ce qui ne marche vraiment pas. J'ai l'intention de publier au gré des étapes qui se présenteront et des émotions qui surgiront. Cela risque d'être en montagnes russes, mais cela traduit parfaitement, pour le moment du moins, ma nouvelle réalité.
Ouais, les montagnes russes. C'est comme ça que je me sens. Comme vous le savez, j'ai eu l'immense privilège de commencer ma retraite pendant mon séjour à Paris. Je cite ici la
soeur Psy : "Y a pire que ça dans vie!" D'ailleurs, si je peux déjà me congratuler pour une riche idée, je dirais que de débuter la retraite par un projet emballant comme ce voyage a constitué une façon très agréable de risquer le premier pas sur le nouveau macadam. Ce fut donc la poursuite de l'enchantement après la date officielle
du 15 because la poursuite du voyage. Toute bonne chose ayant une fin, je me suis retrouvée sur le plancher des vaches
le samedi 1er octobre.
Premier choc à
absorber : les vacances sont terminées mais je ne retourne pas travailler. L'Homme, oui. La soeur Psy, itou. Mais pas bibi. Encore là, y a pire dans vie que d'avoir tout le temps nécessaire pour défaire ses valises, dépouiller son courrier, remettre la maison à sa main après une absence de trois semaines. D'accord, mais le lundi, j'avais tout fini. J'étais prête. À quoi? Je ne sais trop. Heureusement, il y avait le cours de yoga le mardi. Cela m'a donné l'occasion de revoir ma bande de yoginis et d'aller visiter la Maison de thé où je me suis éternisée le reste de l'après-midi pour jaser avec les spécialistes de ce nectar divin. Un matin, j'ai déjeuné avec une amie. L'Homme était en congé deux jours pendant la semaine. Le Fils et la Fille sont arrivés pour la fin de semaine.
Deuxième
choc : tout ce temps et je ne le vois pas. Cela me renverse. En plus, je ne suis pas inscrite à une multitude d'activités.
Qu'est-ce que ce sera le jour où je déciderai de remplir un peu mon agenda? Décidément, je ne pourrai pas y mettre
grand-chose. C'est ce qu'il me semble en tout cas. En fait, depuis mon retour de voyage, j'ai toujours l'impression que le temps me file entre les pattes. Pire, que je ne l'utilise pas à bon escient. Par là, je veux dire à faire quelque chose d'utile comme nettoyer le frigo ou le
garde-manger, ou refaire mes
plates-bandes, ou changer les couches de plus vieilles badernes que moi. Je sens confusément que je m'énerve trop ici et que je devrais plutôt prendre le temps d'avoir le temps. Après tout, voilà un luxe dont je n'ai pas profité depuis belle lurette, depuis ma tendre enfance
oserais-je avancer.
Troisième
choc : je vis avec une culpabilité exagérée et inutile ma liberté retrouvée. Comme si je n'y avais pas droit. Ainsi, je n'arrive pas à croire que je peux choisir chaque jour ce que j'ai envie de faire. Encore mieux, que je peux faire en sorte que chaque jour soit différent. Que je peux faire la paresse ou travailler comme une folle. Que je peux profiter de la nature à plein en allant par exemple marcher tôt le matin ou en décidant, comme je l'ai fait aujourd'hui, de passer la journée dans la cour à lire, à jouer avec les chats et les poissons, à respirer l'air magnifique de cet automne à son paroxysme.
Quatrième
choc : ce n'est pas évident d'éviter l'équation
retraite = mort annoncée. C'est sûr que je reconnais là ma personnalité anxieuse. Force m'est de constater que je n'ai pas pu m'en débarrasser pour entamer cette nouvelle étape de vie et que je devrai faire avec même dans mon troisième âge. En fait, cette idée fixe a un lien avec le choc précédent. Voici donc mon raisonnement erroné, pour ne pas dire
erratique : je trouve que c'est trop merveilleux de pouvoir jouir d'une telle liberté et d'être payée en plus pour avoir ce plaisir; par conséquent, une catastrophe va se produire. Et quelle est la pire des catastrophes? L'arrêt total de jouissance par mort interposée.
Vous voyez que j'ai besoin d'écrire ce journal. Ne
serait-ce que pour ventiler mes neurones absolument fous de joie de jouer aux électrons libres!